vie
Auprès de mon tulipier
Plein soleil printanier, pourtant il fait froid au pied de mon tulipier. Je m’y suis assise comme à mon habitude qui n’en est pas encore vraiment une. Je rends visite à mon arbre. Je lui palpe sa racine à l‘écorce rugueuse et ma main respire, agitée par un battement léger comme l’aile d’un moineau. Il y a deux corneilles perchées très haut, immobiles, elles se chauffent aux rayons qui caressent encore la cime. Le froid m’engourdit, il pénètre mon dos au travers du cuir de ma veste, mes fesses, mes pieds, j’ai encore oublié de mettre des chaussettes par-dessus mes bas. Sous le soleil qui lentement s’efface, courent des petits, derrière leurs ballons colorés et des pères, impliqués dans le jeu tout autant que leurs rejetons. Une machine brise la tranquillité, difficile à identifier. Un moteur rugit et rompt la quiétude du lieu. La conversation avec mon arbre est mal engagée. Je me concentre, je ferme les yeux, appuyée au tronc. Je les rouvre, un passant me regarde avec curiosité. Je suis gênée d’être là assise sur ma racine. Les gens me prennent pour une originale, pourtant j’ai juste envie d’être au pied de cet arbre, tranquille.
Mais je suis distraite par les promeneurs, par les narcisses qui contemplent un sol noir au pied d’un cyprès noir. Je tourne la tête. Un gamin haut comme trois pommes peine dans le gazon inégal. Il titube, tombe le corps en avant, se relève sans effort. A quelques pas de là, à côté d’un sapin tout droit, une femme noire danse à petits pas en chantant doucement.
Bonjour !
Hôpital Brugmann, salle d’attente, tôt matin, lumière grise, salle blafarde…
Une très vieille femme hébétée soutenue par deux adultes-cannes tangue en faisant frissonner l’air autour d’elle. Elle arrive vers moi. On l’assied. Sa tête presque chauve oscille, droite, gauche. Elle est toute menue dans sa robe terne et elle soliloque : pierres, cailloux, choux, genoux, charrue, bœuf, il faut toujours mettre le bœuf devant la charrue…et l’encrier, l’eau et l’encre…
Elle erre dans une banque de données du passé. Au présent il n’y a personne.
Soudain elle se tourne vers moi.
- Bonjour Madame, dit-elle
- Bonjour, je réponds
- Vous allez bien ?
- Oui, fort bien !
- Ça marche ?
- Ça marche, ça roule même, j’ajoute.
- Oh ! Ça roule, ça boule, rouleboule, boule roucoule, coule, coule…
Sa voix s’éteint et se tourne de l’autre côté.
Puis se tourne à nouveau vers moi
- Bonjour Madame
- Bonjour
- Après toi je ne serai que l’ombre de ton ombre, un cœur sans joie…
Elle dit ces mots sans intonation, tout droit, comme pour s’en débarrasser.
Je la regarde et me mets à chanter la mélodie. Ses yeux s’allument.
Elle poursuit la chanson d’une voix éraillée.
Tout de go, elle dit : des bonbons, des bonbons, c’est bon !
Et moi chantant : j’vous ai apporté des bonbons…
Elle : car les fleurs c’est périssable…
Moi : et les bonbons c’est tellement bons…
Et là mon chant s’arrête et le sien aussi car un médecin clame mon nom dans le couloir.
Plus tard, après l’examen, je la croiserai, ses yeux pâles passeront au travers de mon corps sans me reconnaître.
Les genoux brisés
CACMalaga musée d’art contemporain à Malaga
A côté du musée, il y a de larges bancs de marbre qu’un adolescent désoeuvré et téméraire s’obstine à franchir à saut de mouton. A la moindre erreur, il s’explose les genoux. Curieux dialogue entre vie et art !
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