Casa Leopoldo

Ils déambulent dans le barri Xines à Barcelone, à la recherche de la carrer San Rafael.

La Rambla est dans leur dos. Une femme au tablier fleuri claudique en rythme contre son sac de courses. Il est encore tôt pour aller manger et ils avancent au petit bonheur la chance. Dans une rue, il y a 17 voitures de flics toutes garées du même côté. Un policier perplexe enlève un papillon de son pare-brise pendant qu’à une fenêtre du commissariat juste en face, trois flics se marrent. Plus loin, le quartier se peuple de prostituées, flics, clients et des noms d’oiseaux ricochent sur les façades. Montalban arpente le quartier en compagnie de Pepe Carvalho. Ces deux-là ont pas bouffé et ça craint. Leur repère est à deux pas, la Casa Leopoldo.

Tourner à gauche après la rue des putes, la devanture est petite et les guirlandes lumineuses font écran entre la rue et la salle. Porte poussée, l’hôtesse accueille dans un français impeccable. C’est une opulente rousse au pull et lunettes rouges, troisième génération de restaurateurs dans ce lieu créé en 27. Elle désigne sa fille, accoudée à une table, quatrième génération qui tire la gueule, les temps changent. Ils s’installent à une table. L’hôtesse finaude leur fait remarquer le portrait de Montalban qui les observe. Un couple de français dînent à la table voisine, l’homme regarde ailleurs en éclusant son vin blanc, l’épouse, bavarde et péremptoire, a l’air parfaitement chiante.

Entrent des hôtes de marque, huit septuagénaires, costumes trois pièces et chapeaux, de royales fourchettes et des têtes d’hommes de lettres. Ils ont leur table attitrée dans la salle voisine où ils disparaissent. On les entend à peine.

Retour au portrait de Montalban. Nos deux convives font connaissance avec la serveuse. Charmante, androgyne, un personnage tout droit sorti de Cabaret, elle leur fait des sourires pleins de sous-entendus et leur tend les cartes. Ils sont arrachés à leur contemplation gastronomique par la porte qui s’ouvre sans ménagement. Une blonde hautaine suivie de 4 sbires baraqués et moustachus balaie la salle d’un regard bleu glace. L’hôtesse reste planquée derrière le bar. La blonde impérieuse lui réclame des menus en russe, les malabars, patauds, sont plantés comme des poireaux. Ils vont pour s’asseoir puis se ravisent, il n’y a pas de menus en russe. La comtesse sort sans se retourner suivie par ses protecteurs.

Un air froid a soufflé pendant quelques minutes et l’ambiance reprend degré par degré. Dans le fond de la première salle, les garçons font circuler sans arrêt des assiettes de tapas vers la salle deux, vers la table des habitués. On les entend nettement plus.

A la table Montalban, les plats sont servis et nos deux convives se régalent de poissons frais cuits à la perfection. Le flux de tapas vers la salle deux ne tarit pas et à une table, nouvellement investie, un bébé braille. Un jeune couple mixte, pakistano-espagnol, a du mal à gérer la situation. La mère sort avec le bébé, question de ne pas importuner les convives.

L’hôtesse, encadrée par deux tableaux de corrida, pose pour la photo, le doigt suspendu au-dessus d’une calculette. Le touriste photographe est ravi. Bébé hurle, les plats arrivent, cette fois c’est papa qui s’y colle. C’est sûr, celui-là mangera froid.

Dehors, ils croiseront le père et l’enfant sur le trottoir.

  • Pas facile d’aller au restaurant avec un tout jeune enfant, diront-ils
  • Oui, c’est notre premier et on ne sait pas encore très bien comment faire, répondra-t-il, le sourire étincelant, les yeux liquides dans un beau visage brun.

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